Le « nouveau normal », temporaire ou durable, auquel nous sommes contraints de nous soumettre et, progressivement, de nous habituer, inclut bien des facettes. Et ce d’autant plus que dans sa globalité, la crise actuelle touche en fait tous les domaines de l’existence et de nos vies.
Si la folie du temps me dissuade en ce qui me concerne de bourlinguer, la question de l’impact des mesures sur les voyages et la mobilité se pose en permanence. J’étais donc bien bien intéressé de recevoir le texte suivant, que son auteure a eu la bonté de m’envoyer. Ressortissante française, elle vit au Pérou et relate ici les péripéties d’un voyage en Colombie avec la contrainte des tests à produire. Dont on peut rappeler au passage qu’ils ne veulent strictement rien dire hors d’une aide au diagnostic (en complément de symptômes grippaux) dans le cadre d’une consultation médicale. Ne donnant aucune information fiable sur le statut infectieux ou la contagiosité d’une personne, ils ne devraient (selon l’OMS, dont on semble ne retenir que les directives coercitives mais surtout pas les autres !) être utilisés ni en épidémiologie générale (pour évaluer des « cas » comme s’y entête à grands frais le Conseil fédéral) ni comme laisser-passer.
J’ai trouvé ce récit tellement intéressant, à la fois comme carte postale et comme vademecum du voyageur en Amérique latine « au temps du Covid » que j’ai sollicité se son auteure son autorisation à le reproduire ici, qu’elle m’a fort aimablement accordée -qu’elle en soit ici chaleureusement remerciée !
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TOURISME EN AMÉRIQUE LATINE: l’enfer des tests PCR obligatoires
par Mme Elsa Bordone
Voyager pour son plaisir personnel, faire du tourisme est aujourd’hui presque devenu un acte politique pour contrer la mondialisation et la standardisation qui en découle. La recherche du contraste avec la vie quotidienne, de la différence, de l’évasion et l’envie de rentrer chez soi avec l’impression de mieux comprendre un coin du pays visité et d’avoir établi un contact avec la population locale font partie de mes motivations à m’offrir chaque année au moins un voyage à l’étranger puisque j’ai la chance de pouvoir le faire. Voilà ce que je pensais en préparant mon voyage du mois de janvier 2021 et que le récit de l’expérience vécue va permettre de nuancer.
Après un an de travail derrière un écran d’ordinateur à enseigner les SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) au lycée Franco Péruvien de Lima au Pérou, mon pays de résidence qui, soit dit en passant regorge de beautés naturelles souvent insoupçonnées par les étrangers et les péruviens eux-mêmes, j’ai décidé de visiter une partie de la Colombie. Je me rends habituellement en France lors des grandes vacances (dans l’hémisphère nord les grandes vacances d’été sont en janvier et février) mais cette année le rapport qualité (=liberté)/prix du voyage en France n’était pas convaincant et j’ai préféré le reporter pour plus tard. Les émeraudes de Bogota, la côte Caraïbes, Carthagène des Indes, Santa Marta, le parc national de Tairona avec sa faune et sa flore remarquable, oui j’ai bien profité de tout cela mais ce n’est malheureusement pas le sujet qui m’occupe aujourd’hui. Comme vous allez le voir ces merveilles coutent cher…
Pour tout touriste qui se respecte le voyage commence avec la recherche d’infos sur le pays de destination et particulièrement cette année avec la pandémie Sars Cov 2.
La Colombie demande un test PCR négatif de moins de 72h à sa frontière et pas de quarantaine obligatoire si le résultat est négatif. Si le résultat est positif on n’embarque pas dans l’avion. Il faut aussi penser au retour dans mon pays de résidence: le Pérou demande aussi la présentation d’un test PCR négatif de moins de 72h pour pouvoir embarquer dans l’avion, ok on comprend, mais ensuite tout voyageur quel que soit sa nationalité doit observer 14 jours d’isolement. Là c’est moins logique, si on est négatif, pourquoi être isolé ensuite ? Pour cet isolement plusieurs options : soit l’hôtel lorsqu’on en a les moyens, soit un centre d’isolement temporaire ainsi nommé (je ne sais pas exactement ce que c’est, je crois que c’est un hôpital) situé dans les faubourgs sud de Lima, à Villa Panamericana del distrito de Villa El Salvador plus précisément (pour ceux qui connaissent le lieu est lugubre), soit son domicile si on est péruvien ou résident du pays. Ouf ! C’est mon cas, au retour je pourrai donc me reposer tranquillement dans ma petite maison de Lima mais plus d’un touriste a dû être découragé par les perspectives offertes !! Pas de touristes ici donc et j’avoue que cela n’est pas déplaisant : les somptueuses montagnes, les vallées secrètes, la « selva » (= forêt amazonienne), tout pour nous !!!
Je précise qu’en tant que Française de l’étranger employée localement je n’ai pas le droit à la sécurité sociale. Il existe bien une CFE (Caisse des Français de l’Étranger) mais les cotisations sont bien trop onéreuses pour mon salaire péruvien. En revanche je bénéficie d’un « seguro », une mutuelle péruvienne, payé partiellement par mon employeur qui me donne droit à des soins remboursés en partie.
Me voilà en quête d’un laboratoire pouvant me faire un test PCR dans un délai de 72h avant l’arrivée sur le sol colombien. Je commence par m’adresser à ma clinique habituelle qui me donne les tarifs : 400 soles (= environ 90 euros) pour les personnes sans le « seguro » (= la majorité des péruviens en fait) et 80 soles (= 19 euros) pour ceux qui ont le « seguro » auquel il faudra rajouter le prix de la consultation qui sert à prescrire et donc justifier le test soit 55 soles péruvienne. Bon, je m’en sors pour un total de 80 + 55 = 135 soles péruviennes soit environ 31 euros. Je fais la conversion en euros mais il faut savoir que ces montants rapportés à un salaire péruvien représentent des sommes conséquentes. Le prix de la liberté de voyager !
Cela se passe plutôt bien au Pérou, je me dis que cela va se passer bien aussi à Bogota même si je vais devoir payer plein tarif puisque je n’ai pas de « seguro » dans ce pays. Je prévois un budget pour cela. Le délai étant de 72h comme pour le voyage aller il faut quand même prévoir le test soit à Bogota si je décide de revenir quelques jours avant dans la capitale soit à Carthagène si je préfère prolonger mon séjour dans cette ville. On verra bien.
Au bout de deux semaines sur la côte Caraïbes la personne qui voyage avec moi et qui réside en Bolivie doit rentrer. Nous demandons à l’hôtelier de Carthagène où nous sommes de nous renseigner sur la réalisation des tests PCR dans cette ville. Il nous assure qu’il connaît un laboratoire qu’il va appeler pour nous. Le prélèvement nasal sera effectué dans la chambre d’hôtel et le résultat disponible le lendemain. Le prix est de 280 000 pesos colombiens (= 65 euros) à payer cash. Tout se passe bien. Le laboratoire en question a l’habitude d’effectuer des tournées dans les hôtels de Carthagène.
De mon côté je rentre à Bogota. Comme j’ai encore 5 jours devant moi pour le test et vu la facilité avec laquelle cela s’est passé à Carthagène pour la personne qui m’accompagnait, je n’ai pas beaucoup d’inquiétudes. De plus je sais qu’il y a un laboratoire dans l’aéroport de Bogota. Je ne m’en occupe pas le premier jour et préfère visiter le superbe musée Botero (dans des conditions drastiques, en petit groupe de 6, encadrée par au moins trois vigiles et en une heure alors que j’aurais bien aimé flâner tranquillement, pareil pour la visite du merveilleux Musée de l’or). Je téléphone le lendemain au laboratoire Synlab que j’ai identifié comme étant celui présent dans l’aéroport et comme celui ayant de nombreuses succursales à travers le pays. Des problèmes de fraudes ayant survenus (vente de faux tests PCR aux touristes, une histoire qui a fait la une des journaux de Carthagène la semaine précédente) j’essaie de m’assurer du sérieux du labo. Après une heure de palabres au téléphone (sans exagérer, la raison étant qu’à l’aéroport il n’y a plus de place car il y a énormément de monde) avec Synlab et au cours desquelles on me demande des données que je ne peux pas fournir comme un numéro de téléphone colombien par exemple, je finis par obtenir un rendez-vous pour le test un jour avant mon départ dans une succursale de Synlab située dans un quartier nord de Bogota que je ne connais pas. Le prix est de 280 000 pesos colombien et, contrairement à Carthagène, personne ne se déplace. Je dois trouver moi-même un moyen de me rendre là-bas. Lorsque je demande à l’opératrice des indications pour me diriger dans la ville elle déclare ne pas pouvoir m’aider vu qu’elle réside elle-même à Cali et qu’elle ne fait que prendre les rendez-vous (j’entends les cris d’un bébé derrière). Je me résigne à devoir me débrouiller pour aller me faire tester.
Le lendemain matin au petit déjeuner de l’hôtel, je rencontre Joanna, une touriste argentine qui s’est vu refuser l’accès à l’embarquement de son avion pour rentrer chez elle à cause du test PCR réalisé pour son retour dans la ville de Pereira en Colombie. En effet le résultat du test de Pereira indiquait « No detectable » ce qui a paru suspect aux hôtesses de la compagnie aérienne chilienne (Jet smart) qui lui ont refusé l’embarquement. Le plus fort c’est que le test du voyage aller effectué en Argentine présentait la même terminologie c’est-à-dire « No detectable » ! Un coup ça passe et un coup ça ne passe pas !!! Joanna a du racheter un billet d’avion. Des frais supplémentaires imprévus se sont rajoutés : l’hôtel de Bogota, la nourriture, un nouveau test PCR. Le matin même de notre rencontre nous avons décidé de nous entraider et de partir ensemble en quête de tests PCR. Nous nous sommes rendus dans le quartier nord de Bogota qui paraissait concentrer les labos (la Carrera 16 notamment) en bus (je passe sur les péripéties du voyage en bus qui n’est pas direct) et nous avons débouché sur une rue pleine de labos dont certains arboraient l’affiche COVID-19. Après avoir toqué à la porte de plusieurs d’entre eux nous sommes tombés sur un labo (Gencell Pharma) qui proposaient les tarifs suivants : 400000 pesos colombiens (=93 euros) pour un résultat en 2 ou 3 heures, 280000 pesos (= 65 euros) pour un résultat en 24H et 180000 pesos (= 42 euros) pour un résultat en 48 H. Comme j’avais un peu de temps j’ai opté pour cette dernière solution. Fin de l’histoire pour moi mais pas pour Joanna qui a la malchance d’avoir une connexion (Colombie-Chili puis Chili- Argentine 24H après) et donc un délai de présentation du test qui se rallonge. Devra-t’elle faire deux tests ? Il n’y a pas de laboratoire dans l’aéroport de Santiago. Lorsque je suis partie de Bogota elle cherchait un vol direct Colombie-Argentine.
En résumé :
- Chercher un labo et étudier sa position géographique pour s’y rendre : bus, tramway, taxi
- Se renseigner sur le délai demandé par le pays de destination et prévoir le test en fonction de ce dernier : 72H pour le Pérou et la Colombie, il existe aussi des pays qui accepte à 96H comme la Bolivie. Le problème est épineux en cas de vols avec connexion. Si le temps d’attente entre deux vols est trop long le délai d’acceptation du test dans le pays final pourra être dépassé. Il faudra alors faire un deuxième test pour prendre le deuxième avion mais où ? Comment ? À quel prix ? À l’aéroport de Santiago du Chili par exemple il n’y a pas de labo…
- S’assurer que le prix demandé soit raisonnable. Il varie selon le délai souhaité de l’obtention du résultat : 400 000 pesos colombien pour un résultat en 2 ou 3 heures (93 euros), 280 000 pour un résultat en 24H (65 euros). Souvent le choix se limite là mais mais j’ai réussi à trouver un prix de 180 000 (42 euros) pour un résultat en 48H après avoir frappé à la porte de plusieurs laboratoires.
- S’assurer que le résultat arrive avant l’embarquement et que la terminologie employée par le laboratoire soit accepté. J’ai vu qu’il en existait au moins trois : « Negativo » (=le top), « No detectable » (= pas bon car sujet à interprétation, parfois ça passe, parfois ça ne passe pas) et « No reactivo », là je ne sais pas…
- S’assurer que la nature du test réalisé soit conforme pour l’embarquement : le test PCR dit « iso thermique » ne l’est pas toujours.
- Une fois que vous avez obtenu le précieux sésame CE N’EST PAS FINI, loin de là :
- La plupart des compagnies aériennes demande de réaliser l’enregistrement 24H avant et de présenter la carte d’embarquement virtuelle enregistrée sur le smartphone, principe du « no contact » oblige…
- Il y a les deux formulaires en ligne du service d’immigration des pays concernés par votre voyage appelé « declaración jurada» : celui du pays que vous quittez et celui du pays dans lequel vous entrez. Vous êtes ainsi fichés numériquement (identité, adresse, lieu de résidence, numéros de téléphone, état de santé) dans ces deux systèmes. Le passeport sanitaire n’existe pas certes, mais les fondements sont là. Lors de mon voyage aller du 8 janvier 2021 le Pérou ne demandait encore qu’une « declaración jurada » sous la forme d’un questionnaire rempli de manière manuscrite. Le jour de mon retour, trois semaines après, la version manuscrite n’est plus recevable et l’on doit montrer que l’on s’est enregistré numériquement. Ça va vite !!
- Attention, certains pays ne tamponnent plus le passeport à la sortie de leur territoire (le virus se faufile-t-il dans l’encre ?) ce qui m’a valu 20 minutes d’attente et de stress lors du voyage du retour.
Opportunisme commercial, les Colombiens le disent eux-mêmes (« Es un negocio ! ») et mauvaise organisation locale devant l’afflux de touristes hagards et en forte demande dans les grandes villes. Ces déboires ne doivent pas masquer le fait que nous soyons en route vers une numérisation de l’identité. J’ai participé sans le vouloir et parce que je n’avais pas le choix à la mise en place du fichage numérique qui préfigure clairement le passeport sanitaire. Un bon nombre de péruviens tente d’échapper à ce pistage en déclarant de faux numéros de téléphone et/ou de fausses adresses. Avec le passeport sanitaire ce ne sera plus possible.
Références :
Résolution ministérielle en vigueur pour les voyageurs arrivant au Pérou n°810-2020-MINSA : https://www.gob.pe/institucion/minsa/normas-legales/1242278-810-2020-minsa
Pour entrer en Colombie : https://www.eltiempo.com/uploads/files/2021/01/07/nuevas_disposiciones_para_la_llegada_de_viajeros_enero_2021_1.pdf
Articles relatant les « Declaraciones juradas » remplies avec de fausses informations :
https://www.elcomercio.com/actualidad/peru-cuarentena-viajeros-vuelos-coronavirus.html