Et si tout commençait aujourd’hui ?

Posted by

En ce week-end de la Pentecôte (dans notre belle tradition de l’Occident chrétien)  je partage avec vous cette homélie prononcée par l’abbé Zundel au Caire en 1972. Ce grand mystique y évoque le mystère essentiel de cette fête, qui est aussi celui de notre âme, individuelle et collective : le passage du brouhaha chaotique du dehors à l’immensité silencieuse de la paix en-dedans.

Là où nous  pouvons découvrir un espace de liberté, de sérénité, de joie, une Vie de notre vie qui nous libère de nous-même en nous ouvrant au mystère de l’Infini.

Toutes les traditions spirituelles de l’humanité ont parlé de cette réalité si difficile à mettre en mots – auxquelles les neurosciences contemplatives s’intéressent de manière fructueuse depuis deux bonnes décennies.

N’oublions pas les trésors qui existent au sein de note propre tradition – et ne manquons pas de voir -cela sera tragique- à quel point notre besoin actuel, si poignant et si criant, se situe exactement, j’ai envie de dire « scientifiquement »,  à cet endroit que décrit ici Zundel…

************

Pentecôte: Tout commence aujourd’hui

Vous vous rappelez la dernière question posée par les apôtres au jour de l’Ascension. Tandis que Jésus les invite à se recueillir et à attendre l’Esprit saint qu’il doit leur envoyer, la dernière question qu’ils lui posent, c’est: « Est-ce en ces temps-là que tu rétabliras le règne en faveur d’Israël? »

Et voilà la réponse aujourd’hui, la réponse inattendue et merveilleuse: le règne de Dieu, le royaume dans lequel Jésus veut nous introduire, il ne peut se construire, il ne peut advenir qu’au-dedans de nous.

Le ciel, auquel nous sommes appelés, est justement un ciel intérieur à nous-mêmes, comme nous le dit le pape saint Grégoire: « Le ciel, c’est l’âme du juste ». Et cette lumière est inépuisable; cette lumière est à suivre qui nous conduit du dehors au-dedans.

Nous sommes tous esclaves du dehors. Nous voulons jouer un rôle, nous portons un masque, nous désirons exercer une influence, jouir d’une primauté, être loués et admirés et, tandis que nous poursuivons toutes ces exhibitions de nous-mêmes, nous perdons notre substance, nous devenons toujours plus extérieurs à nous-mêmes et nous finissons par n’être plus qu’une apparence d’existence.

Et voilà justement que la lumière de la Pentecôte nous ramène à l’essentiel, nous révèle notre dignité, notre vocation, notre grandeur, notre immortalité, nous révèle notre égalité, notre égalité dans les hauteurs, notre égalité dans l’amour, notre égalité dans le dépouillement, notre égalité dans la pauvreté, notre égalité dans le don de nous-mêmes.

C’est donc dans ce silence que nous allons nous enfoncer, en demandant au Seigneur de nous délivrer de ce vieux moi usé jusqu’à la corde.

Toute âme – l’âme d’un enfant qui vient de naître -, tout esprit humain est capable de cette immensité, est appelé à cette grandeur et doit devenir le Royaume de Dieu.

Chacun de nous est appelé à avoir et à devenir un dedans… un dedans. Ce petit mot de rien du tout, comme il est merveilleux!

Quand Augustin dit à Dieu: « Tu étais dedans et moi j’étais dehors », il nous fait sentir toute la grandeur de ce petit mot, être dedans, c’est-à-dire être soi-même une source, être soi-même une origine, être soi-même une valeur, un trésor, être soi-même un créateur, être soi-même tout un univers.

Pasternak l’a admirablement compris. Il a une page extraordinaire, bouleversante et magnifique, où il nous montre que les temps nouveaux sont arrivés, les temps de la grandeur. Là où l’on parle, comme dit Tagore, « de l’ivresse pour être », les temps nouveaux sont advenus.

Jusqu’ici, on voyait des foules, on voyait des armées. Jusqu’ici, on assistait à la migration des peuples, on comptait par le nombre et par la multitude.

Et maintenant, qu’est-ce qui se passe? Voilà l’Ange qui s’adresse à Marie, voilà le dialogue de l’Annonciation, voilà une toute jeune fille dont le « oui » est attendu, dont le « oui » est indispensable à l’accomplissement de la création et c’est dans le secret de son cœur que se décide le sort du monde.

Désormais, il ne s’agit plus de multitudes, il ne s’agit plus d’assemblées où l’homme est tumultueux. Il s’agit, maintenant, de ce secret d’amour qui se murmure au fond du coeur. Il s’agit maintenant de ce dedans où chacun est libéré du dehors, où chacun porte en lui son éternité, où chacun peut devenir, pour les autres, un espace illimité, un ferment de libération et de grandeur.

Rien n’est plus merveilleux, rien ne nous atteint plus profondément, parce que rien ne nous libère davantage. Être libre de soi…, mais c’est totalement impossible si on n’a pas trouvé, au fond de son cœur, cette Présence infinie qui est seule capable de nous combler, qui est le seul chemin vers nous-mêmes, le seul chemin vers les autres, la seule signification de tout l’univers.

Nous avons donc à recueillir ce merveilleux héritage, à découvrir ce matin ce don infini de l’amour éternel.

Tout commence aujourd’hui. Comme les apôtres sont radicalement transformés quand ils cessent de se regarder, quand ils ne voient plus que le visage du Christ imprimé dans leur cœur! Comme ils vont partir maintenant jusqu’au martyre, partir à la conquête du monde, nous aussi, nous pouvons aujourd’hui naître de nouveau et entrer dans cette immense aventure qui est de donner le monde à la lumière infinie et à l’amour éternel et de consacrer le monde au Christ qui a donné sa vie et qui la donne éternellement aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous pouvons entrer dans cet immense amour dans la mesure, justement, où nous commençons par nous recueillir, où nous commençons par entrer dans ce silence infini où naissent toutes les vies.

C’est ce silence qui est l’origine de toute grandeur, c’est dans ce silence que l’on découvre la Présence infinie, c’est dans ce silence que l’on naît à soi, c’est dans ce silence que l’on rencontre toutes les présences, c’est dans ce silence que l’on atteint jusqu’à la racine de soi et jusqu’à la racine des autres.

C’est donc dans ce silence que nous allons nous enfoncer, en demandant au Seigneur de nous communiquer la plénitude de son Esprit et de nous délivrer, enfin, de ce vieux moi qui est usé jusqu’à la corde, de nous donner un point de vue neuf qui soit simplement un regard d’amour vers lui.

Qu’il nous envoie pour donner simplement par notre présence, pour donner au monde cette joie, cette joie de Dieu, cette joie de l’éternel amour, cette joie du visage du Christ après laquelle toute la terre soupire.