« Ceci n’est pas un complot » : comment les médias racontent le Covid

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Ce film de Bernard Crutzen (dont le lien figure en fin d’article) portant sur le traitement médiatique de la crise par les médias belges francophones est en train de faire un joli foin et a même déclenché un petit psychodrame médiatique !

Certains des journalistes figurant dans le film l’ont en effet semble-t-il très mal pris et s’estiment piégés (?!) alors que le traitement documentaire est franchement aussi probe et transparent que possible.

Lui-même journaliste, M. Crutzen ne cache pas que la manière dont les médias belges ont traité (et traitent encore) la crise du Covid l’a fortement questionné. Il s’est donc intéressé à ce qu’ils disent, comment ils le disent, et ce qu’ils taisent. Avec une attention particulière à la notion de « complot », il est vrai généreusement exploitée par les journalistes.

Comme quand cette question, posée par un membre de la rédaction du média indépendant Kairos à la première ministre belge sur la nature anti-démocratique des décisions prises sous couvert d’état d’urgence, s’est retrouvée qualifiée de « question complotiste » par un média privé ! Alors qu’il s’agit d’une (bonne) question constitutionnelle…

Le documentaire de Bernard Crutzen porte un regard intrigué, concerné et -forcément- préoccupé sur les us et coutumes médiatiques qui se sont mis à fortement déroger aux bonnes pratiques en la matière.

Au fond, un journaliste a vocation à être comme un penseur ou un scientifique, se devant de prendre en considération les différentes hypothèses relatives à une question de recherche pour faire émerger un sens de cette complexité sans tabous ni a priori.

Ce qui implique d’une part de se méfier de ses propres partis-pris, et de traiter chaque proposition avec la même neutralité de principe.

Si un penseur, chercheur ou journaliste adhère d’emblée et sans nuance à une vision univoque, il pourra faire un bon propagandiste mais sortira nécessairement de son champ disciplinaire.

Ouvrir le débat à l’ensemble des points de vue pertinents, veiller à leur traitement équitable, rester dans un rôle visant à poser les bonnes questions plutôt que d’asséner des certitudes ou des données décontextualisées (et donc douteuses), stimuler la réflexion en osant questionner les affirmations discutables d’où qu’elles viennent font partie des devoirs mais aussi de la grandeur de nos métiers.

 

Dans une scène médiatique très comparable à celle de la Suisse (avec quelques régies d’état doublées de médias issus de grands groupes privés), M. Crutzen souligne ce basculement unanime des médias dans une forme d’hystérie univoque et forcenée qui leur a fait perdre au passage l’essentiel de leurs repères intellectuels et déontologiques. Avec -même hélas- une surabondance de tours pendables, comme l’instrumentalisation dramatisante du décès d’une fillette de 3 ans, à laquelle même les démentis de son père n’ont pu apporter un correctif décent.

Les lectrices et lecteurs de ce blog auront été témoins de la critique de fond que je n’ai cessé d’adresser aux médias romands, dont le travail au sujet de la crise sanitaire a été, dans l’ensemble et à quelques exceptions près, piteux. Non parce qu’ils m’ont indument critiqué ou qu’ils ont méprisé les productions de ce modeste blog (qui a pourtant reçu les contributions intéressantes d’une quarantaine de penseurs et scientifiques de haut vol…) Mais bien parce que ce parti-pris systématique, buté et borné ne ressemble ni à la noblesse de la profession ni aux caractéristiques propres du journalisme romand.

Lequel, à mon souvenir, a toujours su éviter les pièges du rejet a priori, de l’aplatissement et de la réduction des idées à des caricatures. Une des beautés et une des valeurs fondamentales de la Suisse est l’aptitude à nous parler au-delà des différences, de s’intéresser aux minorités et de nous méfier du « prêt-à-penser » d’où qu’il vienne, sachant qu’Alémaniques et Romands, montagnards et gens de plaine, citadins et campagnards voient forcément la vie et les choses différemment.

 

Avec donc une approche à la fois paisible et ouverte des questions qui se posent. Je l’avais par exemple beaucoup perçu au cours de mes explorations autour des pratiques complémentaires de santé. Sauf à être un rationaliste dogmatique et intolérant, il fait simplement sens que des thérapies existent et soient disponibles qui proposent un accompagnement autre que technique et « scientifique », avec bien sûr les quelques précautions d’usage nécessaires pour éviter les dérives.

Ceci posé, nous pouvions tous dialoguer ensemble, médecins, autorités et soignants, patients et thérapeutes, en bonne intelligence, avec respect et les bonnes nuances.

La situation dans d’autres pays – la France par exemple- étant tout de suite plus tendue autour de tels sujets. Avec un dogmatisme scientiste tendant à l’intolérance, mais aussi (c’est une des conséquences du manque de dialogue et de sérénité), des positions souvent plus radicales du côté des tenants des « médecins alternatives ».

Avec cette pointe pour un anthropologue de la santé (mais ce devrait aussi être le cas d’un journaliste) que nous n’avons -surtout- pas à prendre parti, ou alors simplement en faveur du bon sens et des besoins des gens. J’ai souvent souligné par exemple que même si je trouvais réjouissant que l’OMS encourage la collaboration entre la biomédecine et ce que l’on appelle les « tradipraticiens de santé », l’urgence dans nombre de pays est surtout de garantir l’accès des populations aux soins de santé biomédicaux !

Par contre, que des pratiques non-scientifiques (traditionnelles ou nouvelles) existent et soient disponibles à des personnes par exemple souffrant de pathologies chroniques pour lesquelles la biomédecine est peu performante, est évidemment souhaitable pour autant qu’elles respectent l’éthique de la relation d’aide.

 

Ce sens de la nuance et d’un certain recul face aux positions tranchées, j’ai été stupéfait de voir à quel point il avait complètement disparu du paysage médiatique romand au cours de l’année écoulée. Avec ce renversement précis dont traite ici M. Crtuzen, qui est celui d’une dérive totalitaire venant à taxer d’extrémiste (en l’occurrence complotiste) tout ce qui relève de l’esprit critique ou même du simple bon sens.

Un peu comme cette entourloupe problématique autour de l’étiquette « antivaxx ». Perdant de vue la nécessité de garder un débat intelligent et ouvert, tenant compte par exemple que chaque vaccin présente un profil de bénéfice /risque particulier et donc qu’être unilatéralement pour ou contre les vaccins n’a pas de sens ! Surtout quand la « norme » devient comme c’est désormais le cas en France (grâce à Mme Buzyn) d’injecter 11 vaccins à tous les nourrissons âgés de trois mois, ce qui n’est évidemment pas une pratique anodine et devrait soulever un légitime débat.

Or aujourd’hui, du fait de la presse essentiellement, ce débat a été confisqué et même perverti puisqu’il répartit fallacieusement le monde en deux camps : les gens sensés, rationnels et éclairés d’une part qui sont inconditionnellement pour tous les vaccins. Et de l’autre les dangereux « antivaxx », catégorie dans laquelle on range désormais même des médecins pleinement acquis à l’importance des vaccins, mais pas forcément à 11 d’un coup à l’âge de trois mois, dont certains protégeant des maladies sexuellement tranmissibles !

C’est ce découpage et cet étiquetage qui posent tant problème, évidemment. Et ce d’autant plus que cette manière de faire, contraire bien sûr à la bonne pratique journalistique et intellectuelle, est devenue en un tour de main le « nouveau normal ».

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 Illustration : le nouveau normal selon la RTS et Le Temps & Co ?!

 

La RTS et Le Temps ont beau s’en défendre (apparemment avec conviction) le fait est là : confiez à n’importe quel expert intègre, professeur en sciences de la communication ou en journalisme, une recherche sur les biais de présentation des nouvelles aux cours des mois écoulés dans ces deux médias, le résultat ne fera pas un pli sauf à avoir grassement soudoyé l’expert en question !

Les exemples abondent au quotidien et sont si voyants, si tonitruants, qu’ils devraient crever les yeux et les tympans ! Eh bien non. Le Temps et la RTS répondent qu’ils veillent à donner la parole aux différentes voix qui ont quelque chose à dire et qu’ils sont irréprochables en présentant systématiquement des points de vue équilibrés et rigoureux !

La conscience de soi est une aventure naturellement ardue et exigeante pour l’espèce humaine et donc chacun d’entre nous, mais là…. On atteint des sommets de déni qu’il faut sans doute mettre au compte d’une dérive sociétale de fond, et d’un moment singulier de l’histoire, à bien des égards psychotique.

L’immense intérêt de « Ceci n’est pas un complot » est qu’il s’agit du travail honnête et courageux, d’un journaliste face à la dérive qu’il observe au cœur de sa propre profession et qui se pose les bonnes questions.

Espérons qu’il se trouvera au moins quelques journalistes dans les rédactions romandes osant prendre en main ce miroir ainsi tendu par leur confrère pour entamer (au moins en privé, dans la confidentialité de leur propre conscience) un début d’autocritique.

 

Lien vers le film « Ceci n’est pas un complot » sur Vimeo : cliquer ici.

Interview du réalisateur sur BAM! (très intéressante également) : cliquer ici.