Espérance de vie et misère journalistique

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Je reproduis ici l’épisode 49 de l’excellent blog de Laurent Mucchielli, sociologue et directeur de recherches au CNRS. Lequel produit depuis une année un corpus d’analyses, dues à sa plume ou à celles d’experts invités, rigoureuses et essentielles.

Parallèlement aux attaques littéralement ignobles que subit le Pr Christian Perronne (qui a présidé rappelons-le pendant six ans la Commission des maladies infectieuses du Haut conseil en santé publique – c’est dire s’il connaît son sujet) et qui vont en s’empirant, c’est l’ensemble des experts compétents apportant des perspective autres que celles de la doxa officielle qui subissent des tirs d’artillerie lourde. En premier lieu de la part de la presse !

Dont il faut quand même rappeler que les plumes qui s’y expriment n’ont pas le centième des connaissances des experts qu’elles mitraillent. Le comble étant atteint avec des médias comme Heidi News ou Le Temps, qui se targuent de faire du journalisme scientifique alors qu’ils ne font qu’aligner des « analyses » où les sophismes le disputent à l’ignorance dans un dogmatisme scientiste affligeant. Le droit de réponse adressé par Reinfocovid au journal Le Temps donne une bonne idée de ce que j’évoque ici.

Ici, Laurent Mucchielli revient sur les attaques dont lui et ses invités font l’objet de la part de ces vieux titres devenus indignes comme de vieilles courtisanes médisantes et perfides. Il faut dire que ces bas-fonds de l’information que sont devenus Le Monde, Libération, l’Express et même la misérable AFP sévissent avec l’acharnement des trolls mis à profit dans les campagnes de bashing en ligne, elles aussi délibérées.

L’incident porte cette fois sur la question (abondamment traitée sur ce blog au cours des derniers mois) des statistiques de mortalité. Lorsqu’on les torture assez (selon le joli mot de Didier Hallépée) on peut leur faire dire ce qu’on veut, en l’occurrence qu’il y a eu une surmortalité importante en 2020, ce que nos médias locaux ne cessent de répéter. A tort, puisqu’avec un début de compétence démographique, on comprend que nous avons Dieu merci été très loin de la « terrible catastrophe » annoncée en boucle.

Commençons par le commencement et par présenter ce qui relève bien comme l’avance l’auteur de « méthodes relevant au pire de l’inquisition au mieux de la presse people, et qui ne font certes pas honneur au métier de journaliste. »

 

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Épisode 49

Avis au lecteur sur la misère du débat public contemporain en général et du journalisme en particulier

 

A la suite de la publication de notre précédent article sur les statistiques de mortalité (c’est l’épisode 46, daté du 26 mars 2021), le journal Le Monde, dans la rubrique des « décodeurs », a clairement cherché à nous décrédibiliser. Pour cela, il semble que les journalistes contemporains dits de fact-checking aient adopté une tactique qui relève en réalité de la propagande : celle qui consiste non pas à discuter le contenu des analyses qu’ils prétendent pouvoir soumettre à vérification mais à contester la légitimité des personnes qui produisent ces analyses. Cet article du Monde n’est pas isolé. Il ne fait au contraire qu’illustrer une fois de plus cette détestable façon de faire dont nous avons subi les frais depuis le début de cette crise sanitaire et des controverses qu’elle suscite logiquement (et heureusement en démocratie !).

Le journal Libération, dans sa rubrique de fact-check, est également coutumier du fait (il fait du reste l’objet d’une procédure en diffamation par le professeur Jean-François Toussaint), de même que l’hebdomadaire L’Express et beaucoup d’autres dans la presse écrite comme en radio et en télévision. La tactique est toujours la même : insinuer que les chercheurs n’en sont pas vraiment, ou bien qu’ils sont sortis très imprudemment de leurs domaines de compétence. Notre collègue épidémiologiste Laurent Toubiana en a tout particulièrement fait les frais depuis l’été 2020, certains de ces nouveaux journalistes-inquisiteurs cherchant par tous les moyens à montrer qu’il n’appartenait pas à l’Inserm où il a pourtant fait toute sa carrière !

Dans notre article du 26 mars, c’est aussi notre collègue statisticien Pierre Chaillot qui se trouve attaqué par Le Monde, le journaliste mettant en doute son appartenance au corps des statisticiens de l’INSEE, ce qui constitue un mensonge éhonté : Pierre Chaillot est bien fonctionnaire titulaire de l’INSEE, sous le titre d’« attaché statisticien principal », il se trouve simplement actuellement en détachement dans une collectivité territoriale.

Quant à moi, ne pouvant pas tenter de faire croire que je ne suis pas chercheur au CNRS, nos nouveaux inquisiteurs suggèrent que je ne connais rien aux questions sanitaires et que je ferais mieux de rester sagement cantonné aux questions de sécurité sur lesquelles j’ai principalement travaillé ces vingt dernières années (grâce notamment à la maîtrise des données statistiques…). Telle est la misère du journalisme de fact-checking contemporain : des journalistes, qui ne sont compétents sur rien mais parlent sur tout, attaquent les personnes pour mieux éviter d’avoir à discuter réellement leurs idées ou, a minima, à les présenter au public en respectant un principe de neutralité.

Il serait évidemment tentant de rejouer la scène de l’arroseur arrosé en allant regarder un peu le parcours du journaliste du Monde (M. William Audureau) qui cherche à nous décrédibiliser dans cet article. En effet, on ne tarde pas à découvrir qu’avant de prétendre écrire des articles traitant des statistiques de mortalité, il s’occupait notamment des jeux vidéos (sic…). Et on constate alors que, dans ce domaine, il a déjà eu maille à partir avec des chercheurs aux yeux desquels M. Audureau faisait un travail relevant plutôt du publi-reportage proche du marketing des industriels de ce secteur (voir l’analyse de notre collègue sociologue Laurent Trémel sur le phénomène « Pokémon Go » et sur ses relations avec M. Audureau dans un chapitre de ce livre).

Mais cessons ce petit jeu sans grand intérêt et revenons au fond. Les bonnes questions sont : pourquoi le débat contradictoire est-il à ce point interdit en France ? Pourquoi les chercheurs indépendants et désintéressés qui s’interrogent sur la communication des pouvoirs publics, et proposent des contre-analyses, sont-ils traités par les journalistes comme des ennemis plutôt que des alliés ? Comment se fait-il que ces journalistes se soient à ce point et aussi massivement mués en défenseurs (« les nouveaux chiens de garde » titrait déjà Serge Halimi en 2005) de la communication gouvernementale ? Pourquoi tout propos produisant volontairement ou involontairement une dédramatisation de la crise sanitaire est-il jugé par principe insupportable et irrecevable ?

Quoi qu’il en soit, pour notre part, que cela plaise ou non, nous continuons à penser que, comme le disait très justement il y a quelques semaines notre collègue Didier Fassin dans le Journal du CNRS : « le Covid-19 n’est exceptionnel ni par son infectiosité ni par sa létalité. (…) Le caractère unique de la situation actuelle ne tient donc pas tant à la maladie elle-même qu’à la réponse qui lui a été apportée ». Ce qui, évidemment, en dérange plus d’un.

A la décharge des journalistes, terminons ce préambule en disant que le conformisme de pensée, la soumission à cette sorte de pensée unique officielle que nous appelons la doxa du Covid, est très répandu dans la haute administration, y compris dans la fonction publique hospitalière et y compris dans des établissements publics comme l’INSERM, l’INSEE ou encore l’INED. Nombre de collègues nous disent en privé qu’ils comprennent et soutiennent notre démarche, mais ont peur de le dire en public car ils redoutent – à juste titre – d’en subir immédiatement des conséquences désagréables. Du coup, l’on entend que les voix de celles et ceux qui ont choisi de soutenir la ligne officielle.

Nous ne pouvons ainsi que déplorer que notre collègue France Meslé ait accepté de prêter son nom et ses arguments à la petite entreprise du journaliste du Monde dans l’article sus-cité. Comme nous restons un peu étonnés d’autres commentaires de collègues de l’INED qui nous semblent dramatiser à tort les données statistiques dont nous disposons. Mais c’est bien là qu’est le débat, au besoin la controverse : dans l’échange d’arguments autour de l’interprétation des données disponibles. Le reste, ce sont des méthodes relevant au pire de l’inquisition au mieux de la presse people, et qui ne font certes pas honneur au métier de journaliste.

Laurent Mucchielli

 

Lien vers l’article  « L’espérance de vie a-t-elle réellement chuté de façon inédite en 2020 ? » par Pierre CHAILLOT, Statisticien : cliquer ici.